Suivi Parlementaire
Le jeudi 30 septembre 2021, dans l'après-midi, le Sénat examinera la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale. L'occasion de faire le point sur les mesures ayant une incidence directe sur la filière équine avec le Sénateur Jean-Pierre VOGEL, Président du Groupe Cheval à la chambre haute du Parlement français.
- Jean-Pierre VOGEL, en votre qualité de Président du Groupe Cheval au Sénat, que vous inspire la proposition de loi adoptée par l’Assemblée Nationale, visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale ?
JPV : « La relation plurimillénaire que nous avons su tisser avec « nos amies les bêtes » est essentielle ; elle contribue à définir notre condition humaine. Les animaux sont, comme le précise le code civil depuis 2015, des êtres doués de sensibilité et à ce titre ils méritent une protection et une attention particulières. Le renforcement des sanctions pénales contre la maltraitance et contre les abandons d’animaux domestiques correspond à ma vision humaniste.
Quatre mesures portent plus spécifiquement sur la filière équine : certificat de connaissance des besoins des équidés (art. 1), obligation de transparence de l’acte de névrectomie (art. 6), vente forcée des équidés abandonnés dans les centres équestres (art. 7) et interdiction des « manèges à poney ». Ces mesures, travaillées avec la filière, vont toutes dans le bon sens.
Permettez-moi cependant d’exprimer mon inquiétude quant à la mention des équidés au sein du premier chapitre qui concernait en premier lieu les animaux de compagnie. Le cheval est un animal domestique, mais n’est pas un animal de compagnie, c’est un animal de rente. Je tiens à cette définition car elle a de nombreuses implications pour l’équilibre de la filière cheval en France. »
- L’article premier impose à tout détenteur d’un ou de plusieurs équidés d’attester de ses connaissances relatives aux besoins spécifiques des espèces domestiques d’équidés, au moyen d’un certificat de connaissance. Est-ce selon vous un bon moyen de sensibiliser les détenteurs d’équidés sur le bien-être animal ?
JPV : « Le certificat d'engagement et de connaissance est une avancée symbolique importante. Tout ce qui peut contribuer à renforcer les connaissances de nos concitoyens sur le monde animal, et en l’occurrence des équidés, va dans le bon sens. Quand on acquiert un cheval, on ne se doute pas nécessairement de la place énorme qu’il occupera pour les trois décennies suivantes, dans nos dépenses, dans notre emploi du temps et, pour résumer, dans nos vies. C'est un investissement qui doit être effectué en conscience, car sinon il est clair que c'est l'équidé, négligé voire abandonné, qui risque d'en faire les frais.
À la différence du dispositif qui a été institué pour les propriétaires d'animaux de compagnie, les députés ont voulu une obligation de certificat pour les détenteurs d'équidés. La raison en est que les chevaux sont, plus souvent que d'autres animaux, confiés à des tiers – centres équestres ou pensions de chevaux –, le propriétaire ne pouvant pas toujours s’occuper lui-même au quotidien de son animal. Il n'est pas question, toutefois, de demander aux professionnels du cheval, notamment aux centres équestres, de produire un tel certificat ; c'est pourquoi les règlements d'application devront prévoir un système d'équivalence. D’ailleurs, ce sont les détenteurs particuliers qui sont visés dans l’article et, selon l’IFCE, c’est chez eux que les obligations sanitaires sont le moins respectées. »
- En cas d’abandon des équidés, les difficultés financières retombent (trop) souvent sur celui qui est le gardien du cheval. L’article 7 instaure ainsi une procédure de vente forcée pour les équidés abandonnés chez un professionnel. En quoi ce dispositif constitue-t-il une avancée ?
JPV : « Aujourd’hui, les détenteurs d’équidés peuvent déjà procéder à la vente forcée de l’équidé lorsque son propriétaire n’honore plus ses engagements en ne finançant plus l’entretien de l’équidé. Toutefois, le détenteur doit d’abord faire reconnaître par le juge que le propriétaire lui a bien confié son équidé, ce qui n’est pas toujours évident dans nos campagnes où les chevaux sont parfois laissés en pension sans contrat. Au total, la procédure est très longue, elle peut durer jusqu’à 2 ans et demi. Pendant ce temps, le centre équestre ou la pension se retrouvent en difficulté financière, ce qui peut conduire à un manque de soins voire tout bonnement à l’abandon du cheval.
La procédure de vente forcée prévue à l’article 7 permettra d’accélérer la vente de l’équidé et de mettre fin à ces situations qui se sont multipliées pendant le confinement, et qui sont déchirantes pour tout le monde. Pour autant, puisqu’elle laisse la possibilité au propriétaire de s’opposer à la vente et de récupérer l’animal, cette procédure ne prive pas les propriétaires de leurs droits. »
- L’article 7 bis nouveau dispose que l’utilisation des équidés dans les attractions de type carrousel vivant est désormais interdite. Mais comme l’a souligné Martine LAGUILLE-BALLOY, Présidente du Groupe Cheval à l’Assemblée nationale, lors des débats, l’article est rédigé de telle manière qu’il peut inclure « des activités comme celles que peut avoir l’école militaire, la garde républicaine ou le Cadre noir et autres... ». Êtes-vous de son avis ?
JPV : « Les manèges de foire faisant tourner des équidés vivants choquent, à juste titre, l’opinion publique. Par ailleurs, il y a un consensus, parmi les professionnels de la filière équine et les vétérinaires, sur le fait que ces « manèges à poneys » ne respectent pas les besoins physiologiques de l’animal.
La rédaction adoptée à l’Assemblée nationale n’était toutefois pas suffisamment précise et risquait d’emporter le bébé avec l’eau du bain. En effet, en l’état, l’article 7 bis de la proposition de loi dispose que « l’utilisation des équidés dans les attractions de type carrousel vivant est interdite, tant dans l’espace public que dans l’espace privé, dans les fêtes foraines, foires et autres événements similaires pour le divertissement du public ».
Il fallait veiller à ne pas interdire les « carrousels » (selon le Larousse, Reprise de parade où les cavaliers évoluent suivant des figures convenues et le plus souvent en musique ; lieu où se donne cette parade) ou les « manèges » (au sens d’installation où les poneys s’entraînent). Les « marcheurs » des centres équestres (installation tournante d’entraînement, laissant le cheval libre de ses mouvements entre deux parois et dont la contribution au bien-être des chevaux est reconnue) ne devaient pas non plus être interdits par inadvertance en raison de cette rédaction trop large. Enfin, il n’était pas question non plus, bien sûr, d’interdire les balades à poney, au cours desquelles ces derniers sont tenus en longe mais libres de leurs mouvements ; ces balades ont une dimension pédagogique que les manèges à poney n’ont pas.
C’est pourquoi la rapporteure de la proposition de loi, ma collègue Anne CHAIN-LARCHE, a entrepris un travail de consultation des acteurs concernés, pour trouver une rédaction qui mette fin à tous les manèges à poney, mais rien qu’aux manèges à poney. »
- L’amendement 224 a permis d’introduire à l’article 7 ter (nouveau) un enseignement dispensé dans le cadre du service national universel. Mais ne faudrait-il pas « éduquer » la jeunesse sur le bien-être animal beaucoup plus tôt ?
JPV : « À mon sens, davantage que le renforcement des sanctions pénales – d’ailleurs pas toujours appliquées, faute de moyens adéquats… –, le principal levier pour lutter contre la maltraitance animale demeure l’éducation. C’est pourquoi ma collègue sénatrice Anne CHAIN-LARCHE, rapporteure de cette proposition de loi souhaite renforcer la sensibilisation à la question du bien-être animal dès le plus jeune âge. Plus largement, je crois que l’éducation au respect de la condition animale constituera l’un des fils rouges de l’examen de ce texte au Sénat, tant l’adoucissement de nos rapports aux animaux ne peut venir que de l’éducation.
Développer la pratique de l’équitation est d’ailleurs un bon moyen de sensibiliser les plus jeunes au bien-être animal, sur le terrain ! »
- L’article 8, afférent au renforcement des sanctions dans la lutte contre la maltraitance à l’encontre des animaux domestiques, prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque les sévices ont entraîné la mort de l’animal. Est-ce selon vous suffisamment dissuasif ?
JPV : « Il faut rappeler d’où l’on vient. Il n’existe pas aujourd’hui de circonstance aggravante pour le cas où des sévices auraient conduit à la mort de l’animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité. La peine encourue est donc à ce jour celle de droit commun prévue à l’article 521-1 du code pénal (sévices graves, ou de nature sexuelle ou acte de cruauté), de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende – et encore, il s’agit là d’un maximum. Si cet article était adopté, les peines seraient donc plus que doublées par rapport au droit existant. Ce n’est pas négligeable…
Par ailleurs, d’autres circonstances aggravantes sont créées aux articles 8 ter et 8 quater : celle de commettre ces sévices alors qu’on est le propriétaire de l’animal, celle d’abandonner l’animal en le mettant en danger de mort… Sans compter que des retraits, confiscations et interdictions de détenir des animaux ou d’exercer certaines activités en lien avec l’animal complètent cet arsenal juridique. Je crois que beaucoup de progrès ont été fait ces vingt dernières années. »
- L’article 8 bis propose de réécrire l’article L122-7 du Code pénal de manière que le terme « animal » soit expressément mentionné. Partagez-vous les craintes de certains députés estimant qu’un tel changement ouvrirait une brèche juridique pour certaines associations dites de défense des animaux, qui pourraient l’utiliser ainsi pour justifier des interventions et intrusions dans des élevages, abattoirs, etc. ?
JPV : « Il me semble que cette précision relève surtout du symbole puisqu’elle ne change absolument rien au droit existant. Les animaux restant « soumis au régime des biens » (article 515-14 du code civil), il est déjà possible de sauver un animal qui ferait face à un danger le menaçant de façon grave et imminente, et d’être couvert par le régime d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité pénale qu’est l’état de nécessité (article L. 122-7 du code pénal). La mention de l’animal n’ouvrirait donc aucune nouvelle brèche pour justifier des intrusions dans des élevages ou des abattoirs. En revanche, elle introduirait une confusion dommageable pour le bien-être des animaux : si le législateur a estimé nécessaire de mentionner l’animal en plus des biens à cet article en particulier du code pénal, est-ce à dire que tous les autres articles du code pénal qui protègent “les biens” ne protègent plus les animaux ? Pour cette raison, je crains fort que cet article soit contre-productif… »
Source : FNCH