Pour beaucoup de marchands, je pense que c’est un soulagement!”, commente Vincent Feuillerac, cavalier professionnel et marchand de chevaux installé à Lapeyrouse, dans l’Ain. À compter du 1er janvier 2022, la garantie légale de conformité sera supprimée dans le cadre des ventes de chevaux de professionnels à consommateurs. Cette ordonnance s’inscrit dans le cadre de la transposition, en droit français, de deux directives de l’Union européenne (UE): la 2019/770 sur les contrats de fourniture de contenus numériques ou de services numériques et la 2019/771 concernant les contrats de vente de biens. L’objectif affiché de ces deux textes est de renforcer la protection offerte par le droit de la consommation, et plus particulièrement par la garantie dite “de conformité”, aux ventes de biens, dont font juridiquement partie les chevaux, et de l’étendre à certaines ventes de services et contenus numériques. Pour autant, alors que les ventes de chevaux bénéficiaient jusqu’ici de cette garantie, l’article 9 de l’ordonnance vient expressément exclure la vente d’animaux domestiques du champ de la nouvelle garantie de conformité renforcée.
Notons que cette exclusion était permise mais non imposée aux États-Membres de l’UE, et que c’est donc le gouvernement français qui a délibérément choisi d’exclure les ventes d’animaux dits domestiques du champ de la garantie de conformité. Le motif invoqué est que “les ventes d’animaux domestiques restent couverts par les dispositions spécifiques du Code rural, renvoyant sous certaines conditions à la garantie des vices cachés du Code civil”. C’est ce qui ressort du rapport du ministère de l’Économie, des finances et de la relance au Président de la République, sur cette ordonnance. Cependant, à l’heure du vote sur la proposition de loi contre la maltraitance animale, dont l’objectif premier est de lutter contre les abandons d’animaux domestiques et de faire prendre conscience aux acquéreurs de la responsabilité induite par l’acquisition d’un animal, elle semble vouloir s’inscrire dans ce nouveau mouvement sans que, s’il s’agit du but sous-jacent, l’efficacité de la mesure soit véritablement avérée. Notons toutefois que l’exclusion des animaux domestiques du champ de la garantie avait reçu, au plan européen, le soutien de la filière, et plus particulièrement de l’European Horse Network (EHN), dont l’Institut Français du cheval et de l’équitation (IFCE) est un membre actif.
Quels sont les changements induits?
Depuis 2005, lorsqu’un vendeur professionnel vend un cheval à un consommateur, ce dernier est automatiquement protégé par la garantie légale de conformité. Celle-ci n’a vocation à s’appliquer qu’aux ventes de chevaux conclues entre un professionnel et un consommateur. Cela signifie que toutes les autres ventes, conclues entre deux professionnels ou deux particuliers se trouvent aujourd’hui, et se trouveront toujours après l’entrée en vigueur de l’ordonnance, hors du champ d’application de la garantie de conformité et ne seront donc pas impactées. En application de cette garantie, prévue à l’article L.217-5 du Code de la consommation, la chose objet de la vente devait être “propre à l’usage habituellement attendu d’un bien semblable et, le cas échéant: correspondre à la description donnée par le vendeur et posséder les qualités que celui-ci a présentées à l’acheteur sous forme d’échantillon ou de modèle; présenter les qualités qu’un acheteur peut légitimement attendre eu égard aux déclarations publiques faites par le vendeur, notamment dans la publicité ou l’étiquetage; présenter les caractéristiques définies d’un commun accord par les parties ou être propre à tout usage spécial recherché par l’acheteur, porté à la connaissance du vendeur et que ce dernier a accepté.”
En application de ce texte, l’acquéreur, qui rapporte la triple preuve de caractéristiques attendues lors de la conclusion du contrat, de son ignorance du défaut en cause au moment de la vente et de l’antériorité du défaut à la date de la vente, a deux ans, à compter de la livraison du cheval, pour demander au vendeur la réparation de son préjudice ou le remplacement du cheval. À titre d’exemple, appliqué aux ventes de chevaux, ont pu être considérées comme couvertes par la garantie de conformité la vente d’un cheval dont la boiterie le rendait inapte aux compétitions, celle d’une jument de concours dont il était découvert qu’elle était gestante peu après la transaction ou encore celle d’un cheval destiné au sport ayant des problèmes locomoteurs. En revanche, la simple mésentente entre le cavalier et son cheval a été jugée hors du champ de cette garantie.
À compter du 1er janvier 2022, les non-professionnels ayant acquis un cheval à un professionnel ne pourront plus bénéficier de cette garantie. Ils ne bénéficieront plus que des mêmes garanties applicable aux autres ventes. La première, concernant les vices rédhibitoires, ne joue que dans un délai excessivement restreint de dix ou trente jours (suivant le cas) après la livraison de l’animal, et dans sept cas limitativement énumérés par la loi: immobilité, emphysème pulmonaire, cornage chronique, tic avec ou sans usure des dents, boiteries anciennes ou intermittentes, uvéite isolée ou anémié infectieuse. La seconde, propre aux vices cachés, suppose, pour l’acquéreur de prouver, dans les deux ans de la découverte du vice, “un défaut caché de la chose vendue qui la rende impropre à l’usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avaient connues.” Il s’agira, par exemple, d’apporter la preuve de la cécité d’un œil pour un cheval destiné à être monté, d’une maladie naviculaire pour un cheval de sport ou d’une stérilité congénitale pour une poulinière, étant précisé que l’acheteur devra également prouver que le vice était antérieur à la vente et non apparent lors de sa conclusion. Il pourra alors choisir entre réduction du prix ou restitution de l’animal. Ces deux garanties sont donc plus restrictives de celle de conformité.
“Le coach doit jouer son rôle et accepter d’être transparent”, Nicolas Tayol
Quoi qu’il en soit, les ventes de chevaux continuent à bénéficier des autres causes de nullité applicables à tous les contrats: l’erreur sur les qualités substantielles de la chose, le dol notamment en cas de mensonge ou d’omission du vendeur. Par ailleurs, il reste toujours possible pour l’acquéreur souhaitant être protégé sur un point spécifique, de négocier avec le vendeur, l’insertion de garanties conventionnelles plus protectrices. Implanté en Haute-Savoie, Nicolas Tayol, cavalier professionnel et marchand, a déjà mis en place des contrats spécifiques lorsqu’il commercialisait des chevaux à des amateurs. “J’essaie de plus en plus de formaliser les choses avec un contrat de vente, qui encadre la transaction. Un avocat spécialisé dans le droit équin élabore un document, particulièrement lorsque je vends à un client que je ne connais pas et avec lequel je n’ai pas d’historique. Cela encadre plusieurs choses: l’usage prévu du cheval, son niveau actuel et qui encadrera le couple. Avec cela, tout le monde est protégé”, explique-t-il.
Le Rhônalpin compte parmi les professionnels satisfaits par la réforme de 2022. “Lorsqu’il s’agit de chevaux achetés sans historique ou simplement avec une brève annonce, les mauvaises surprises peuvent survenir. Ces règlementations avaient été créées pour protéger le consommateur, mais cela a conduit à des abus. De fait, avec cette réforme, c’est l’une des premières fois que la loi évolue dans le sens du vendeur et non de l’acheteur”, apprécie-t-il.
Au plan européen et pour la filière, cette réforme pourrait avoir des impacts. En effet, l’exclusion de la vente des animaux domestiques du champ de la garantie de conformité n’est qu’optionnelle pour les États membres, ce qui pourrait créer des disparités entre les vendeurs ressortissant d’États ayant exclu les animaux de la garantie de conformité et les autres. Les premières victimes en seraient les acteurs du marché français et par ricochet, les chevaux tricolores.
“Le retrait de cette garantie ne va pas changer notre manière de travailler”, Vincent Feuillerac
Concernant la potentielle fuite des acheteurs vers l’étranger, Nicolas Tayol ne se montre pas particulièrement inquiet. “Je ne pense pas que cela poussera les acheteurs à se tourner vers des marchands installés à l’étranger. Cela poussera peut-être les gens à se protéger davantage et à être plus vigilants sur leurs achats. Il ne faudrait d’ailleurs pas que cela mène à des visites vétérinaires trop poussées, car elles sont déjà de plus en plus conséquentes.” Son confrère Vincent Feuillerac abonde dans le même sens: “Les amateurs concourant jusqu’à 1,40m ne vont que très peu acheter leurs chevaux à l’étranger. Je ne suis pas sûr que le retrait de cette garantie les y pousse. Dans le commerce de chevaux, la confiance joue un rôle primordial.”
Nicolas Tayol met en avant le rôle de l’entraîneur dans les transactions avec les amateurs. “Depuis longtemps, je privilégie les transactions se faisant avec l’aval d’un entraîneur lorsqu’il s’agit de clients amateurs. Ainsi, le coach s’implique et vient voir comment fonctionne le cheval, ce qui prémunit généralement des mauvaises surprises. Il doit véritablement jouer son rôle et accepter d’être transparent sur le fait qu’il touche une commission. Son analyse doit être rémunérée car elle fait office de garantie de long terme. Les clients doivent être prêts à payer ces 10%, qui valent selon moi plus que la garantie de conformité. C’est un peu plus professionnel et devrait réduire la masse de contentieux traité par les tribunaux. Il faut que les entraîneurs jouent le jeu et que chacun s’engage”, conclut-il.
“Il n’est pas toujours facile de vendre des chevaux et de nos jours car il faut les vendre aux clients et aux vétérinaires, ce qui n’est pas une mince affaire”, affirme Vincent Feuillerac. “Nous avions jusqu’à présent une épée de Damoclès au-dessus de la tête pendant deux ans. C’est aussi en partie à cause de cette garantie que nous nous étions davantage orientés vers des chevaux destinés aux professionnels. Nous avons plus de facilités à trouver des arrangements avec des professionnels lorsqu’un cheval n’est finalement pas conforme. Nous préférons généralement vendre aux amateurs lorsqu’ils sont bien orientés et encadrés”, détaille le cavalier de l’Ain, qui n’a toutefois jamais voulu se fermer à cette clientèle amateure. “Il y a de plus en plus d’amateurs qui montent en compétition, y compris lorsque à 1,45m et 1,50m. De ce point de vue, nous tendons vers le modèle américain”, analyse-t-il. “Le retrait de cette garantie ne va pas changer notre manière de travailler: nous essayons toujours de vendre des chevaux sains et bons. Lorsque nous en achetons, nous faisons procéder à des visites vétérinaires poussées, ce qui nous met déjà à l’abri de beaucoup de déconvenues”, conclut-il.
Lucas Tracol et Émilie Waxin
Crédit Photo : @DR
Source : GRANDPRIX